Geoffroy Gross

Judicael Lavrador: peinture rythmetique, Galerie du haut pavé, Paris 2001

•Rythmetic de Norman McLaren est un film d’animation dans lequel, des chiffres s’alignent les uns après les autres sur un fond monochrome. Les additions ainsi posées se révèlent facétieuses et instables. Leur somme change au fur et à mesure des accidents que subit la série numérale : le cinq ne tient pas en place et bouscule le neuf voisin qui se trouve inversé en six, à moins qu’un pan de la ligne ne s’effondre sur celle du dessous. Il se peut aussi que le résultat se fasse insupportablement attendre et que les chiffres ne se mettent littéralement à trépigner. Les corrections en chaîne loin de pallier la valse des chiffres, l’instaurent encore plus surement, en lieu et place de la rectitude arithmétique.
•Les lignes scotchées sur le fond monochrome du tableau se croisent perpendiculairement et tracent un carré qui fait écho au format de la toile. Ce carré est néanmoins décentré et sa présence semble d’abord une incidence des quatre points d’intersections des lignes droites. À se prolonger jusqu’aux bords du tableau, elles suggèrent fortement un hors-champ, l’espace hors-limites de leur continuité. Le tableau se pose alors comme un territoire délimité, divisé en parcelles géométriques. Mais quelque chose rend utopique ce territoire ainsi composé, suffisamment en tout cas pour qu’il paraisse déplacé.
Ces larges bandes peintes qui le traversent verticalement en font tanguer les limites carrées. Elles interfèrent sur la grille, et sur le rapport que la grille établit avec le fond d’une manière bizarre et un peu extravagante du fait de leur inclinaison, de leur défaut de parallélisme et de leur couleur. Pourtant, pas plus que les autres composantes de la toile, ces larges bandes ne pourraient être définies comme l’élément perturbateur. Après tout en effet, les lignes scotchées viennent après elles dans le processus de la peinture. Ces lignes agiraient alors comme un cadre à l’intérieur de la toile, un cadre qui ne désigne ou ne singularise pourtant rien, tant il laisse subsister trop d’éléments en marge, ou tant le fond monochrome déspécifie le pan encadré. À moins encore que l’altération de la couleur des lignes à leurs intersections avec les larges «zip» ne divertissent trop de l’intérieur même du carré.
• La peinture de Geoffroy Gross tient à ces additions impossibles dont la somme se révèle mobile autant que les éléments additionnés. Les références éclectiques à l’histoire de l’art ne s’alignent pas ici en droite ligne, pas plus qu’elles ne se concurrencent. Elles se télescopent, se rétractent et se déplient solidairement. La toile semble donc le lieu d’un échantillonnage formel et chromatique, tendu vers une unité optique effervescente et intrépide.


Judicael LAVRADOR – Paris – 2001