Geoffroy Gross

Jacques Victor Giraud pour tableaux, catalogue Artboretum 2009

Dans l’attente ou la réflexion, parfois l’ennui, les mains restent agrippées au trombone. Elles détruisent l’objet créé de deux boucles. Sous le regard aveugle, elles développent le fil dans son extension. L’espace situé entre la face postérieure du cristallin et de la rétine voit sa masse visqueuse s’emplir de tons ombrés de vert. Dans le jardin, les plantes et arbustes reçoivent la lumière.

 

Alors de petits dessins répétés, anodins, s’opère un froissement au creux du monde familier ou un crissement dans le train lors de déplacements. Tout cela s’inscrit sur papier ordinaire ou sur le verso de feuillets administratifs. Petits papiers arrachés au temps ou feuilles A4. Cette proximité exige une distance. Le rythme supplante cette dépendance qui pourrait être prise pour une régression et précipite le trait jusqu’à la tentative de la totale disparition de son dernier soupçon d’expression.

 

Le bleu naît après la pluie. Le rouge peut provenir de la pierre artificielle fabriquée avec de la terre argileuse, pétrie, moulée, séchée servant à ériger les murs ou les cloisons. Le gris, lui, provient d’un ciel d’automne ou d’un jour sans soleil. Le jaune de la paille de ces champs entraperçus rivalise avec le jaune de l’oeuf du comptoir. Dans le désir de cette clarté s’immisce une tache rose, souvenir d’un accident survenu sur l’asphalte, issu d’une déjection de l’autre quidam. L’esprit vagabonde, les blancs indiquent le lieu. Les tons s’approprient leurs places par hachures dans le quadrillage. Cette fragmentation laisse apparaître l’espace entre les choses, leur fond commun, la relation inaperçue qui les associe malgré tout. Fi des oreilles de lapins ou des mains gantées, ce qui reste doit détruire la linéarité de la fable.

 

Des toiles de petit format, toutes identiques, sont agencées. Le format détermine le nombre. Un nouveau quadrillage voit le jour dans cette juxtaposition. La ligne, elle, est alors tracée au fusain. Elle est effacée, reprise, épurée, purifié mais jamais facile. Les exercices précédents d’assouplissements se voient maintenant décisifs. Il n’est pas question d’un agrandissement au carreau, une conception nouvelle a lieu. Un corps à corps se présente. Puis par un jeu de masquage et découpage, la ligne garde une même épaisseur. Pleins et déliés se trouvent anéantis. Chaque toile est ensuite détachée. Rien n’est durable. Reste l’espace vide.

 

Les couleurs choisies recouvrent chacune leurs toiles respectives en aplats mesurés. Chaque monochrome distille son suc. La peinture noire emplit l’intérieur du cache. Dans cette opération et ce cadrage strict de chaque élément de l’attitude précédente du geste a lieu un décalement de ce geste. Un nouveau cache recouvre ce fragment de ligne afin que le blanc déposé l’insère. Les deux tons affleurent.

 

Au plus près, depuis l’intérieur du geste, chaque élément se détermine. La chronologie étant elle-même brisée par son interruption, la réalisation peut maintenant pour son propre compte s’exposer. Cette existence ne peut prendre forme que dans la rythmicité même du montage des couleurs et des gestes.

 

Alors, cela se remonte tel un mode de jeu qui assigne à la connaissance afin de mieux en exposer la matière visuelle. Cette redisposition des éléments qui nous les font voir, nous en livrent la surprise. Les lignes orthogonales apparaissent dans les blancs et disparaissent aux contacts des tons. Elles miment la lutte de l’ordre qu’elles manifestent et du désordre là où la ligne vigile restitue son vertige.

 

Les différents formats ne flottent pas, leurs rapprochements par les bords égalisent tout le contraste. L’équilibrage des éléments picturaux, le dualisme où est dissous tout centre, toute hiérarchie, créant des vides où tout est ouvert est manifeste. Le tableau est construit.

 

L’exposition rend les tableaux totalement visibles et distincts. Les tons riches ou délicats, les lignes stylisées sans raison recueillent la dynamique d’un geste. Ces tableaux nous maintiennent à distance et nous obligent, non sans légèreté, à une déambulation mentale. L’encrage dans la toile de cette figure impossible nous restitue ces lieux de repos et de contemplation appelés musaea.

 

Les dernières œuvres aux fils incisés où les lapis osent s’insérer sont en suspension dans l’espace.

 

 

Sans localisation.

 

Jacques Victor GIRAUD, 2009